Les guerriers de la science
« – Tu as pris la pelle ?
Oui on a tout : ciment, sable, fil de fer, pinces coupantes, la caisse en plastique, la poubelle, le panneau solaire. C’est parti, rame ! »
En Terre de Feu, la science prend des airs d´aventure. Pour poser un sismomètre il faut naviguer, grimper dans la montagne, se mettre de la boue jusqu’au cou.
Expédition scientifique sur la caravane à Mouloud
Morgane est à quai au Micalvi, le club nautique de Puerto Williams. Le pont déborde de caisses en bois pleines de panneaux solaires, de cordes, de pelles et de haches.
A l’arrière, la nasse à crabe royal surplombe une collection de poubelles en plastique vertes et noires. A l’intérieur s’empilent batteries et sismomètres, rouleaux de fil de fer et attirail électronique.
Les yachts voisins, d’une propreté suspecte et un peu trop bien rangés, lancent des coups d’œil sceptiques à Morgane, qui est dorénavant connue d´Ushuaia à Williams comme « la caravane à Mouloud ».
Un équipier de Walhala s’approche et me demande :
« – Il est complètement incroyable ce bateau ! Mais qu´est ce que vous foutez avec tout ce bordel ? Ah c’est sur, vous dénotez un peu…»
-De la science ! On attend des scientifiques de l’Université du Chili pour aller poser un sismomètre sur un volcan de la Bahía Cook. Pour poser la machine il faut creuser un trou, faire du ciment, c’est pour ça tout ce matos. »
Bon bien sûr, même sans l’attirail de la science la caravane serait la caravane ; avec sa nasse verte, ses cannes à pêche, son cockpit rempli d´objets hétéroclites mais tous utiles.
Mais il faut reconnaître que des expéditions de sismologie cela rajoute une couche notable de bordel sur le pont.
Cela a même une nette tendance à sédimenter.
Denis a déjà passé un mois sur Morgane, de Puerto Montt à Puerto Natales, pour poser sept machines sur les volcans de Patagonie du Sud.
Vu le climat, peu de scientifiques s´aventurent sur ce genre de terrains. Cinq jours de beau temps sur 36 jours de mer…on aura peut-être plus de chance sur cette expé.
Poser un sismo
Une semaine après notre départ de Puerto Williams nous arrivons en vue du fameux volcan. Il fait presque beau !
Après tous ces jours de pluie et de vent dans la face nous bénissons les dieux des canaux pour leur ponctuelle clémence.
Denis et Camilo comparent le paysage avec leur photo du volcan :
« – Elles sont vraiment pas précises leurs coordonnées, ça s´arrête aux minutes, même pas de secondes…
Si on se fie à la photo ça devrait être cette petite montagne là, même si ça ne correspond pas exactement au GPS.
Mais c´est une colline, 150 mètres ! J´espère qu´il y a du basalte sous la forêt, et qu´on lui trouvera un peu d´activité. »
Gilles, un œil sur le sondeur, s´engage doucement dans un canal étroit. Il y a du kelp mais ça passe très bien, 15 mètres de fond, c´est parfait pour mouiller.
Morgane entre dans une petite caleta idyllique.
Nous sommes entourés de montagnes couvertes d´épaisses forets, et nous avons une vue superbe sur les sommets de la cordillère de Darwin. Un dauphin joue près de la caravane.
Nous jetons l´ancre et mettons le zodiac à l´eau. Il faut charger les pelles, le ciment, les poubelles, le panneau solaire, la barre à mine, la scie, les batteries, la machine…C´est parti.
Nous ramons jusqu´à la plage où nous nous enfonçons allègrement dans la vase en déchargeant le matériel.
Nous chargeons sacs à dos et porte-bébés et partons à la recherche d´un endroit stratégique pour poser la machine. Denis réfléchit.
Il faut un lieu protégé du vent d´Ouest, proche du volcan, invisible depuis la cote. Il a l´habitude et trouve vite son bonheur.
Les marins remontent leur manches et bénissent leurs bottes en commençant à creuser un trou. Pour faire le ciment un rocher presque plat fait bien l´affaire.
Le soleil brille toujours. Denis s´extasie : c´est le premier sismomètre qu´il ne pose pas sous la pluie !
L´été a été dur en Patagonie. Nous repartons sur Morgane en début d´après midi pour un énorme plat de pâtes et une sieste sur le pont.
Il fait tellement beau, nous en profitons même pour nous jeter à l´eau.
Dans la soirée le ciment est presque sec. Armé de pinces, d´un voltmètre et d´un GPS Denis place le sismomètre sur son socle.
On l´oriente consciencieusement vers le Nord et on rebouche le tout. Il ne reste plus qu´à fixer le panneau sur des barres en fer. La nuit tombe déjà.
La Croix du Sud apparaît. Camilo nous montre Orion, le pole sud du ciel, des étoiles que l´on ne peut pas voir depuis la France.
Nous redescendons vers l´annexe en trébuchant dans la tourbe. Les rames laissent d´étonnantes traînées lumineuses : le plancton phosphorescent semble abonder ici.
Mission accomplie, il faudra revenir en Mars pour récupérer matériel et données.
Marion Labatut © Azurever.com